Sylvain Tesson : « la vie au bout des doigts » ! Escalade et rapports humains après confinement…
et libre-escaladeur de tout ce que est dangereux sur la planète ( le conformisme, la docilité béate, l’ennui… ) a écrit en Février 2010 ce texte prophétique très amusant .
Il s’y moque des règles de précautions prêchées par l’Etat ( déjà) contre les pandémies,…
interdiction de serrer les mains, « nouvelle tentative de notre monde moderne de tout faire pour dématérialiser les relations entre les êtres. »
Nous avons illustré ici très librement cet article de Sylvain Tesson.
Les amoureux de Barbizon y trouveront un bel éloge de ces rochers qui attirent la jeunesse du monde entier dans notre forêt…
Sylvain Tesson – Février 2010
Les autorités sanitaires préconisent d’arborer sur le revers de sa veste un badge frappé d’un slogan invitant nos interlocuteurs à un salut de la main afin d’éviter les «contacts directs» et la transmission des pandémies.
L’Etat se préoccupe de nous, l’intention est aimable – Merci !
Symboliquement, cette campagne relève du penchant de notre monde moderne à dématérialiser les relations entre les êtres.
Nous ne nous écrivons presque plus de lettres, le SMS et la conversation téléphonique représentent l’essentiel de nos entretiens,
le virtuel triomphe, les écrans ont pris le pouvoir.
Plus de poignées de main, bientôt plus de baiser :
«Noli me tangere !» camarade !
L’expression «Ne pas toucher !» est pourtant une injonction de boutiquier soucieux de sa camelote. L’appliquer à l’homme, c’est faire l’aveu que le monde est devenu un supermarché.
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ! » (PAUL VALERY 1918)
Comment croire que les cœurs continueront à être touché par quoi que ce soit…
…si les mains n’ont plus le droit de toucher à rien ?
Heureusement, il y a résistance.
Des irréductibles savent que la main est faite pour empoigner la vie…
et non pour distribuer de mesquins petits Hi ! en agitant les doigts comme on se débarrasse des mouches.
C’est qu’ils ont la vie au bout des doigts !
Leur joie quand ils trouvent une prise solide !
L’escalade est l’hommage que la fragilité de la chair rend à la possibilité de la pierre …et celui que les grimpeurs rendent à la main.
Regardons les s’élever : leur main se tend vers la prise, les doigts furètent, palpent le rocher et soudain trouvent la réglette. Ils s’y crispent, ils «arquent» comme on dit dans le jargon. Sauvés !
C’est à croire qu’à l’extrémité de la pulpe digitale, de minuscules yeux, pareils à ceux de l’huître, scrutent les aspérités.
Grâce à Claudel, on savait que «l’œil écoute».
Et si la main voyait ?
Passez la paume sur le granit de Bretagne ou du Sidobre : son âpreté rappelle les viscosités du magma avant les refroidissements telluriques.
Caressez les parapets du calcaire : les moellons comme les fruits se gorgent de soleil et restituent l’énergie photonique.
Modeste contribution au débat :
Être français, c’est vivre dans un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer.
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