Jean-Galtier Boissière à Barbizon (1891-1966), journaliste célèbre, polémiste et gastronome…


Dans la grande rue de Barbizon, une plaque rappelle qu’un grand journaliste et patron de presse a vécu ici, avec sa famille.
Il a représenté le meilleur de la presse française, libre, insolente, indépendante. Il a réuni sur les sujets les plus divers beaucoup des esprits libres de son temps / Jean-Galtier Boissière, le fondateur et l’animateur infatigable du Crapouillot, de 1918 à 1966. 


En Avril 2018, notre ami Pierre Soudais, Président et animateur de Barbizon cultures, a conçu et réalisé, en Avril 2018 à la Mairie de Barbizon, une exposition et une brochure tout à fait remarquable sur cette aventure intellectuelle étonnante :
comment un journal créé pour amuser les soldats dans les tranchées de 1916 est devenu un lieu d’échange et d’excitation de l’intelligence française pendant près d’un demi-siècle.

Nous remercions Pierre Soudais de nous avoir permis de reproduire ici les plus belles images de cette exposition et  la brochure qui retrace magnifiquement  cette histoire.
Nous espérons que nos lecteurs, curieux de l’histoire de la pensée française apprécieront ce récit.
Amoureux de l’art, de la gastronomie, de l’intelligence et de l’humour, Jean-Galtier Boissière doit être un bon signe de ralliement et de fierté pour tous les amoureux de Barbizon.

JMM


Histoire d’une famille brillante : les Ménard et les Galtier-Boissière

L’aïeul de Jean Galtier-Boissière, (côté paternel), le comte GALTIER DE LA BOISSIERE, avait quitté l’Aveyron  au début de la Révolution, pour siéger à la Constituante.

Sous La Terreur, il décide de s’éloigner de Paris et de revenir dans sa Province.
Malgré sa prudence, il est arrêté par deux « enragés » et incarcéré.
Sa femme,  » La Galtiérette », rassemble ses voisins et délivre son époux, les armes à la main. Ils s’enfuient à cheval pour Bordeaux et se jettent dans une goélette qui les débarque à l’île Bourbon.
Quelques années plus tard, leur fils Pierre décide de revenir en France.Après avoir doublé le cap de Bonne-Espérance, il sera le témoin, selon la légende, du transfert des cendres de Napoléon de Sainte-Hélène aux rives de la Seine. Ce qui permet de dater son retour à 1840.

A Paris, Pierre Galtier de la Boissière fait sa médecine, (habite dans la maison de Marat), devient un clinicien connu et un écrivain.


Ami d’Edgard Quinet et de Louis Blanc, d’esprit républicain, il supprime la particule de son nom et s’appelle désormais Galtier-Boissière.     Il est nommé préfet de Rodez, après la révolution de 48. Il meurt en 1882.
Il avait épousé Zoé Wermullen dont il avait eu deux fils, Elie et Emile, et une fille, Elisabeth.

Le 2 juin 1887, le docteur Emile Galtier-Boissière épouse Louise Ménard jeune femme intelligente  et douée pour la peinture. 

Une mère artiste à Barbizon : Nature morte réalisée par Louise. en 1913.

Ils auront 2 enfants : Suzanne (1888-1962)et Jean Galtier-Boissière (1891-1966)

Emile-Marie Galtier-Boissière  (1857-1919)    devient un  pédiatre réputé.Il écrit, tout seul,  ce monument de la médecine pour les familles pauvres : « Le Larousse médical illustré. »  qui paraît en 1912
Le 20 Septembre 1919, le docteur Emile Galtier-Boissière meurt à Barbizon à 62 ans.                         
Il avait délaissé depuis longtemps la pratique, pour se consacrer  à la littérature de vulgarisation médicale, chez Armand Colin, puis chez Larousse.
En dehors du travail, il avait une passion pour le théâtre, où il se rendait plusieurs fois par semaine accompagné par son fils.  


Les jeunes années de Jean Galtier-Boissière, à St Valery en Caux et à Barbizon

Jean Galtier-Boissière écrit :
« Nous passions les vacances d’été moitié à St Valery-en-Caux, chez tante Anna, (sœur de son grand-père Ménard), moitié à Barbizon, invités à la « vieille  demeure  » de bonne-maman Ménard, sa « grand-mère Ménard « .


A sept ans, il entre à l’École Alsacienne, où il côtoie les fils de la bourgeoisie protestante parisienne. Son goût pour le journalisme s’affirme déjà : vers 1901, il imprime quelques numéros de l’Écolier alsacien, huit pages recto-verso, vendus dix centimes.
Bachelier en 1910, il s’inscrit en Sorbonne et y décroche une licence de philosophie, ainsi que le certificat d’Etudes Supérieures ès-lettres… Mais le soir, il danse au Moulin de la Galette et va « guincher » dans les bals musettes!

De 1912 à 1914, Jean fait son service militaire à la caserne des Tourelles, porte des Lilas. (Ci-contre). Maniement d’armes, corvée de quartier, sentinelle aux prisons, patrouilles du samedi soir, il fera tout cela sans rechigner.

« En somme, sans l’assassinat d’un archiduc à Sarajevo, Jean s’apprêtait à rentrer dans la vie civile. Hésitant entre littérature et peinture, doué pour ces deux arts, il serait devenu normalement un peintre ou un écrivain de talent, mais il n’en fut rien. Avec quelques millions d’autres français, le voici tiré par sa manche de caporal, avec le devoir d’être homicide pendant quatre ans et plus, d’être occis ou amoché. Il va tout connaître de la guerre : la rase campagne, la tranchée, l’arrière. Avec les autres, il recule, il marche sans manger, hâve et hagard, tirant sans haine des balles meurtrières, sur un ennemi peu vu » (F. Aman-Jean).

Le 5 septembre,  «Nous sommes arrivés à Waly (Lorraine) pour coucher. En flânant dans le village, j’aperçois un rassemblement devant une affiche blanche. Je m’approche et, par-dessus les têtes, je lis que «le gouvernement se rend à Bordeaux pour donner une impulsion nouvelle à la défense nationale» (…) Nous sommes tous consternés.   Nous savions bien que notre armée battait en retraite, mais nous ignorions que toute la ligne française s’était repliée. Les Prussiens sont donc aux portes de Paris! La capitale va être assiégée comme en 1870! Quel désastre! Je suis atterré! ». (Mémoires d’un parisien, tome 1)

   Construit à partir d’un carnet de route bien tenu, son livre, La fleur au fusil, est l’un des meilleurs concernant le début de la guerre. Il révèle la dureté des combats et l’angoisse de la défaite qui marquent les soldats et l’ensemble de la société française au début du mois de septembre 1914

«C’est impossible de les laisser entrer à Paris! » dit un soldat, les poings serrés.

«Je prends la tête de mon escouade. Dans cette marche sous le feu de l’artillerie, il s’agit de progresser, avec le moins de pertes possible, en se faufilant entre les obus qui éclatent de chaque côté. La compagnie est fractionnée en autant de colonnes que d’escouades qui avancent, chacune pour son propre compte, à travers champs et guérets (…) Le plus surprenant, dans ces marches sous le feu de l’artillerie, c’est de s’apercevoir, en regardant évoluer en arrière les sections de renfort, que les obus tombent très rarement sur un groupe. On dirait vraiment que chaque section possède un contre-aimant qui écarte les projectiles. Pour tuer un seul homme, il faut une débauche d’engins de tous calibres; mais, lorsque par malheur une grosse marmite éclate au milieu d’un groupe, quel horrible hachis!»  

«Même aux heures les plus sombres de la retraite, même accablé des plus grandes fatigues et tourmenté par les plus terribles angoisses, j’ai toujours conservé au fond de mon cœur, non pas l’espoir, mais la certitude de la victoire ! »«Après Berry-au-Bac et la ferme du Choléra, le régiment est mis à la disposition du général Mangin et occupe le secteur de Beaumarais, en face de Craonne. 

Puis, en juin, après avoir passé en train le long de Paris, par la ligne de Grande Ceinture, nous débarquons à Doullens, enfin le régiment remonte dans la région d’Arras, où nous sommes accueillis par une population de mineurs extrêmement cordiale». 

Juillet 1915. «Nous occupons Neuville-Saint-Vaast, avec cette fameuse « route de Béthune » qui me faisait toujours penser au bourreau de Milady».

C’est dans ce secteur, (où se trouve également Roland Dorgelès)  dans le gourbi du Pou Volant, que naît le  « Crapouillot« .       Directeur : Caporal Jean Galtier-Boisière.

Succédant au grondement du canon, à l’éclatement de grenades, au tac-tac des mitrailleuses, en juillet 1915, dans la boue et sous les rafales de pluie, une bombe nouvelle explose : c’est le premier numéro du Crapouillot, journal du front. Ce mortier, chargé par le caporal d’infanterie Jean Galtier-Boissière, allait cracher ses torpilles, vérités anticonformistes, pendant quarante-neuf ans…

Les combattants n’en étaient plus au climat de la fleur au fusil… Les poilus commençaient à être outrés du ton des grands journaux, qui, sous prétexte de soutenir le moral des civils, accumulaient les mensonges les plus absurdes sur la vie du soldat aux tranchées et sur la situation des armées. C’est donc, sous le signe du « débourrage de crâne« , que, s’adressant aussi bien à l’avant qu’à l’arrière, parut le premier Crapouillot.
 Le premier numéro, sorti en août 1915 avec comme sous-titre  « gazette poilue, feuille de guerre », donne le ton avec en manchette :     
« Courage les civils ! »

Le mot « crapouillot », qui signifie littéralement     « petit crapaud », désigne, dans le vocabulaire des poilus, un mortier de tranchée français et par extension ses munitions, les torpilles d’artillerie.
Le Crapouillot, qui commence par quelques feuilles ronéotypées, est ensuite transmis au père de Jean, le docteur Galtier-Boissière qui va s’occuper de l’impression et de la diffusion.
L’originalité du Crapouillot était dans son souci de vérité, il faisait appel à des artistes combattants, tels que Dunoyer de Segonzac, Luc-Albert Moreau, Valdo Barbey, Charles Martin, pour les illustrations, auxquels Galtier-Boissière se joignait avec ses « encres de Chine » exécutées dans ses postes de tranchées. L’humour n’est pas négligé, l’ironie pointe à chaque page. Certains numéros sont caviardés par la censure.

       Evacué pour polynévrite généralisée, Jean va connaître les dépôts, les camps, où transpirent les embusqués. Il faut lire Loin de la riflette, écrit avec humour et sensibilité. Jean se souvient de tout, grâce à ses dons d’humoriste, d’artiste et d’historien.
C’est l’époque où il écrit : En rase campagne (La Meuse) et Un hiver à Souchez (La guerre des tranchées, en Artois)
Pour remporter cette vaine victoire, il faudra l’usure du matériel humain dans les deux camps, la relève américaine et les chars, tout cela afin de désenliser la guerre et reconduire au-delà du Rhin une armée ennemie qui se pense invaincue et le prouvera vingt ans plus tard.

Le 8e numéro de la quatrième année du Crapouillot présente sur la couverture une Marianne souriante, à la main une branche d’olivier, sur fond de guirlande de lampions. (Dessin de Drésa).

Janvier 1919,  dernier numéro de la première série.
Cette année de paix s’ouvre sur un dessin de Michel de Brunhoff       Buste de poilu, avec cette légende: « Et maintenant au travail  »                       

Le Crapouillot devient une revue littéraire et artistique sous-titrée  « arts, lettres, spectacles » regroupant des écrivains non conformistes comme Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Francis Delaisi, Henri Béraud, Claude Blanchard, Gus Bofa et des dessinateurs comme Dunoyer de Segonzac, André Villeboeuf, André Dignimont, Jean Oberlé, André Rouveyre, Louis Touchagues, André Foy, Jean-Louis Forain, Jeanne Rosoy…

« Il y eut, la guerre finie, une frénésie de danse à Paris. On voulait s’étourdir et comme il y avait eu les bals des guillotinés après la Terreur, il y eut les bals des rescapés en 1919.

Les vieux bals publics à orchestre de cuivres, du Moulin de la Galette à Bullier, étaient combles, tandis que dans les dancings innombrables commençait la vogue du jazz nègre. Le snobisme enfin s’était emparé de l’accordéon et de la java et le dernier genre était de guincher au milieu des mauvais garçons au bal de la Montagne ou des Gravilliers.

0n dansait au Bœuf sur le Toit, que les ennemis de Cocteau appelaient Le Bluff sur le Moi.

Le hollandais Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain…

Van Dongen donnait à danser, à l’accordéon, le lundi soir dans son immense atelier de la rue Juliette-Lambert. »

« Les premiers dîners du Crapouillot sont donnés en 1919 à l’antique restaurant du Petit Véfour, dans un grand salon balzacien dont les fenêtres s’ouvrent sur les jardins déserts du Palais-Royal…

Puis tous vont émigrer sur la Butte Montmartre, chère à Mac-Orlan, mais c’est à La Villette, en face de l’entrée des abattoirs, chez Dagorne, qui s’intitulait, à juste titre, le roi de la grillade, que les dîners du Crapouillot connaîtront leur apothéose. »

« On prit l’habitude de lancer la chansonnette ou de dire des monologues dont l’esprit correspondait à la gouaille habituelle de la revue…Après avoir battu du tambour ou joué en virtuose de l’accordéon, l’hercule Dignimont, empruntant une voix confidentielle, narrait les malheurs d’Ernest, au milieu de l’émotion générale ».                         

C’est à cette époque, que Gus Bofa commence une carrière d’illustrateur de livres de luxe.Il met en image Mac Orlan, Courteline, Swift, Voltaire, Cervantès…

Fondateur et directeur du Salon de l’Araignée, il s’occupe aussi de la chronique littéraire du Crapouillot, jusqu’en 1939.
Dans ce numéro spécial : « LE PANIER DE CRABES »  ou vingt-quatre  ans de « Crapouillot », Jean Galtier-Boissière évoque toute l’histoire de son journal.  Voici quelques morceaux choisis :

Les femmes n’étaient pas admises dans le corps de garde du Crapouillot. Une seule osa rompre le pacte : Colette.
« Amenée un soir au dessert, par Carco et Renaud de Jouvenel. Elle s’assit à ma droite, et me dit :  passe-moi le fromage, mon vieux…
    -« Je ne suis pas VOTRE VIEUX, madame, lui répliquai-je avec une dignité qui glaça ses amis présents.
Mme Colette eut d’ailleurs le bon goût de disparaître après avoir chanté, avec son épouvantable accent, une bien plaisante chanson berrichonne ». (Galtier-Boissière) 

« L’année 1928 fut assombrie pour   les copains du Crapouillot, par le malheur imprévu de Jean Oberlé qui,  en vacances à Nantes, fut terrassé par une très grave attaque de poliomyélite. »(…)   Derain lui offrit l’hospitalité dans sa maison de Chailly-en-Bière. »              Galtier-Boissière venait souvent le voir, en voisin.  

Les fauves étaient venus, eux aussi, dans la forêt de Fontainebleau. C’est dans la maison de DERAIN à Chailly-en-Bière, que Jean Oberlé est venu en cure…

 

Plus tard, pendant la Guerre, Oberlé sera l’un des animateurs de l’équipe de la France libre à Radio Londres. Créateur de multiples slogans, on lui doit le fameux : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand »

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 9 juillet 1930, Galtier épouse sa fiancée, la rieuse Charlotte, ravissante blonde aux yeux bleus cendrés de gris

« Le déjeuner a lieu dans un salon de Dagorne, à la Villette,  six plats, six vins, évidemment ».

L’Académie Goncourt contre Le Crapouillot

Le scandale du Prix Goncourt 1932 fut déclenché par un des propres membres de l’Académie, M Lucien Descaves, connu pour son caractère « soupe au lait ».
La tradition voulait que les Académiciens se missent d’accord sur le lauréat au cours d’un déjeuner, huit jours avant la réunion officielle.
Cette année-là, Descaves soutenait la candidature de Céline, et le résultat semblait assuré.

Or, dès le premier tour c’est le candidat Mazeline, soutenu par Dorgelès,  qui l’emporta, grâce à la voix double du Président Rosny.
« C’est alors, écrit Galtier Boissière, que je publiai dans le Crapouillot un article assez vif réclamant la démission du Président des Goncourt ».

L’affaire des faux Millet

« J’ai connu Jean Millet,le  petit-fils du grand peintre. Enfant, il venait passer les vacances à Barbizon.

Plus tard, il devint peintre, et un jour, un chineur vint à lui pour lui présenter un paysage « attribué au maître » et lui demanda de bien vouloir le dater et l’authentifier à l’aide de la correspondance et des croquis pieusement conservés par la famille. Jean Millet commence ses recherches, mais craignant qu’une pièce de si haute valeur ne coure quelque risque dans son pavillon de Barbizon, il porte la toile à Melun et la dépose dans le coffre d’une grande banque. Toujours à court d’argent, il profite de l’occasion pour se faire avancer sur son chef-d’œuvre quelques gros billets par l’aimable directeur. Quelques semaines plus tard, le chineur revient pour reprendre son tableau, et Millet lui explique qu’il a laissé l’œuvre en garantie…Le chineur dépose immédiatement une plainte…La presse s’empare de l’affaire, reproduisant la photo du tableau, qui du coup, se trouve authentifié. Si bien qu’un amateur américain s’empressa de l’acquérir un bon prix… que se partagèrent Millet et le chineur ».

Inventer la critique de Cinéma en 1919…

  « Je crois, dit Galtier-Boissère, que Le Crapouillot fut, dès 1919, la première revue à publier une critique des films sur le même plan que la critique des livres, des pièces et des expositions, alors que toute la presse considérait le nouvel art comme une lanterne magique perfectionnée à l’usage des enfants et de leurs bonnes« .
Il va faire ses débuts au « Ciné », comme dialoguiste, pour le film « L’étoile de Valencia » dans lequel tournait Jean Gabin (1933).

« Le Crapouillot lance aussi des rubriques nouvelles qui, très rapidement, tombent dans le domaine public :
Mac Orlan inaugure, par exemple, une critique de disques, continuée par André Rousseau ; André Salmon une originale rubrique judiciaire, sous le signe des Enfants terribles ;
Maximilien Vox, une rubrique des arts graphiques. 
La première rubrique d‘argot est signée par Pierre Devaux ». 

 Le tirage du Crapouillot,  qui plafonnait à 6.000 exemplaires, passe alors à 120.000 ; la clientèle est trouvée.
Le Crapouillot ne fait plus paraître que des numéros spéciaux.
En 1932 : Histoire de la Guerre. En 1934: Hitler Est-ce la Guerre ? En 1936 : Les 200 Familles                   

Les engagements politiques des amis de Jean vont du communiste engagé Jean Bernier, au maurrassien Lucien Farnoux-Reynaud.


Certains collaborateurs, et Galtier-Boissière lui-même, sont souvent très féroces dans leurs comptes rendus, leurs critiques et leurs articles. La revue est résolument un reflet de l’opinion des auteurs.

En un peu plus de quarante ans, sous la direction de Galtier-Boissière, cela vaut au Crapouillot, une quarantaine de procès.

1940 L’OCCUPATION

Pendant la seconde guerre mondiale, Galtier-Boissière interrompt les publications du Crapouillot.
Parmi ses collaborateurs, les uns sont prisonniers, certains sont à Londres, d’autres dans la Résistance, d’autres collabos.
On lui fait des propositions venant, sans en avoir l’air, de l’occupant.  Alors, il se saborde!

Pour vivre, il est obligé de vendre des livres et des objets de sa collection personnelle.                                     
L’Office de livres du Crapouillot demeure, mais subit les tracas de la Kommandantur et de Vichy, sans oublier le fisc. Il vivote.

Mais pour satisfaire son besoin de vérité, il écrit chaque soir, pour lui-même, Mon journal pendant l’Occupation. Livre libre qu’il faut relire maintenant pour bien saisir le phénomène d’indépendance d’un patriote que rien n’abuse; ni les bobards de Vichy, ni ceux de Londres, encore moins ceux de l’occupant.

Gorgé d’humour noir et d’analyses historiques tranchantes, Mon journal depuis la Libération est le tableau magistral d’une France qui panse ses plaies.

 En août 1944 Paris est libéré,

c’est la fin de quatre années d’occupation, de collaboration et de résistance ; les règlements de comptes de l’épuration se succèdent alors que la guerre dure toujours.

On y croise Aragon ou Picasso – symboles de la mainmise des communistes sur l’intelligentsia – ; Mauriac ou Cocteau ; une flopée de collabos notoires étonnés de devoir rendre des comptes ; des résistants de la vingt-cinquième heure avides de prouver leur héroïsme.

Suite immédiate de Mon journal pendant l’Occupation et de Mon journal depuis la LibérationMon journal dans la Drôle de paix s’étend sur l’année qui va de septembre 1945 au même mois de l’année suivante. C’est le temps des grands procès de la collaboration (Pétain, Laval), des retrouvailles et des retours.

En mai 1946, « Pagnol me conduit en voiture, avec Charlotte, à Barbizon où je dois remplir mon « devoir électoral ». 

André Billy, président de l’Académie Goncourt, dans sa maison de Barbizon, « la chevrette »

Devant la minuscule mairie du village jadis cher aux peintres à barbe-de-bizon, nous rencontrons André Billy et nous allons goûter chez ma mère, au centre de son zoo ». (Mon journal dans la Drôle de paix)


Mon journal dans la  grande pagaïe nous entraîne des années de l’immédiat après-guerre jusqu’à la fin de la décennie des années 40. Dans une ambiance tendue de guerre froide où les enjeux de pouvoir entre gaullistes et communistes se dessinent sur fond de décolonisation, de grands bouleversements sociaux et de nouvelles émotions culturelles voient le jour sous l’œil quelque peu désabusé de notre truculent chroniqueur.

En 1947, Galtier reprend ses activités. Le Crapouillot abandonne sa vocation première, les arts et lettres qui sont confiés au Petit Crapouillot (206 numéros). 

La revue traite de dossiers sérieux comme l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de sujets plus légers comme la sexualité mais aussi de ses contemporains et leurs travers.

Et pour reprendre un titre d’Alfred de Musset,    On ne badine pas avec l’amour,
il entreprend une série d’études sérieuses, documentées, médicales et policières sur la sexualité. Vrai repos du guerrier.

Après sept années de silence, c’est donc par « Histoire de la guerre 1939-1945 »           que le Crapouillot  recommence sa carrière.

« Histoire de la guerre 1939-1945 » comporte cinq numéros, écrits par Galtier-Boissière lui-même, avec la collaboration de Charles Alexandre.                    

Tout ce qui touche à la guerre l’a toujours passionné.

Pendant dix-sept ans, soixante-cinq numéros spéciaux vont se succéder à la cadence d’un par trimestre. Tous les trois mois, Galtier-Boissière doit trouver un sujet choc, des rédacteurs compétents et le plus souvent de talent, et surtout une iconographie très importante. Pour faire tout cela, il est seul.

Dans son Dictionnaire des girouettes, Jean Galtier-Boissière s’attache à rappeler les parcours et les évolutions de ses contemporains. Puis, il inaugure une charmante série sur les rues de Paris.

En 1957, sa mère disparaît à l’âge de 91 ans, à Barbizon.                                                                                   

« Maman a vécu trois guerres. Et, bien qu’elle n’eût pas quatre ans en 1870, elle se souvenait parfaitement de ses impressions d’enfant ».
Après son séjour en Angleterre, toute la famille était rentrée à Paris, pour découvrir « l’appartement parisien dévasté pendant le siège de la Commune… ».                                  (Journal dans la Drôle de paix)

« Mme Galtier-Boissière mère, était aussi grande que son fils, aussi raffinée qu’il l’était peu, portant hiver comme été un gros nœud de tulle rose pour cacher une cicatrice au cou. Ses cheveux blancs, son teint enluminé de fermière normande, lui donnaient l’éclat d’un gros bouquet de pivoines. »                                                       (Denise Tual, Au cœur du temps) 

La maladie à 70 ans

« Une fois dans ma vie, j’ai cherché à être raisonnable. Depuis mon retour de sept ans de service militaire, j’avais passé une quarantaine d’années à Paris, sans maladie, menant une vie extrêmement fatigante, sortant tous les soirs et passant des nuits dehors. 

A soixante-dix ans, très frais, je décidais de me ranger et de vivre désormais huit à neuf mois par an à ma campagne, jouant une heure ou deux par jour au tennis – j’étais en grande forme – et faisant des promenades à pied – de douze à quinze kilomètres – du charmant hôtel de Franchard à travers la forêt de Fontainebleau.

   Le résultat de ma très raisonnable conduite ne se fit pas attendre. Début 1963, à peine rentré à Paris, je fus soudain pris de douleurs épouvantables dans la jambe droite : c’était une artérite foudroyante.  J’avais la gangrène dans le pied et le mollet (…) On me coupa promptement la jambe au-dessus du genou »

 Il poursuit : » C’est pourquoi j’ai décidé de vivre complètement à Barbizon et de passer la main pour le Grand Crapouillot, étant dans l’impossibilité d’assumer les responsabilités d’une revue de combat et de réussir en dehors de la capitale, sa présentation et son illustration. Contrairement à mes admirateurs, je suis d’avis que mon Grand Crapouillot « cinquantenaire » avait besoin d’un animateur plus jeune et plus dynamique que moi-même ».                                                                      (Crapouillot No 66 de mai 1965)

Désormais, Galtier-Boissière va vivre complètement à Barbizon,                                                          en compagnie de Charlotte, son épouse

C’est Jean-Jacques Pauvert, âgé de 39 ans, qui va prendre la succession du « vénéré directeur », aux commandes du Grand Crapouillot.
Je reprends le Crapouillot, dit-il, pour pouvoir le lire.
Car, qu’est-ce qu’on deviendrait sans Crapouillot ?
Cependant, Jean Galtier-Boissière va continuer à rédiger Le Petit Crapouillot.

 

Jean-Jacques Pauvert va réaliser un numéro spécial (N°66) qui sort en mai 1965, intitulé: 

HISTOIRE D’UN JOURNAL LIBRE ET DE SON DIRECTEUR, HOMMAGES, COMMENTAIRES ET SOUVENIRS.
PAR
jean rostand – georges simenon – armand lanoux – henri guillemin – jean paulhan – marcel achard  maurice garçon – roger peyrefitte – michel simon –  léo ferré – pierre fresnay – françois perier – marcel aymé – georges van parys – frédéric rossif – pierre mac orlan – françois nourissier – jean Sennep – maurice henry – jean-louis bory – pierre dominique – kléber haedens – robert gaillard – jean savant – michel audiard – max-pol fouchet – alexandre arnoux – henry muller – andré      hardellet – louis merlin – guy béart – emmanuel roblès – jérôme gauthier – louis pauwels – pierre dac – robert beauvais – andré salmon – rené dorin – michel vaucaire – jean-françois noël – rené fallet – alphonse boudard – lo duca – gus bofa – alfred fabre-luce – a. dunoyer de segonzac – claude – morvan lebesque – j. lap – serge – escaro – moisan – siné – robert j. courtine – jean-françois revel – henri jeanson – eddy dubois – alexandre    pierre darrigrand    jean bernier –  roland bacri

 

Jean-Jacques Pauvert écrit :
« Je ne suis pas journaliste, je suis éditeur. J’édite pour avoir dans ma bibliothèque des livres que j’aime ».
 « Il y a dans ce n°66 à peu près tout ce que l’on peut dire de Jean Galtier-Boissière ».

 

 

Henri JEANSON écrit : ALORS, MONSIEUR GALTIER-BOISSIERE ?
« Alors, Monsieur en a marre, Monsieur rend les billes, Monsieur jette l’éponge, Monsieur quitte le Crapouillot – un copain de jeunesse – Monsieur met la clef sous la porte, Monsieur nous fait le coup de Cincinnatus et va cyniquement cultiver ses rosiers dans le jardin de Candide, Monsieur part sans se retourner ? ….

 

Marcel ACHARD :
Pour moi, le Crapouillot, c’est avant tout la réussite de l’amitié.
« Nous venions des coins les plus opposés. Nos formations étaient très différentes. Mais nous avions en commun deux règles de vie : l’enthousiasme et la gaieté. Nous pensions : « Il n’est pas nécessaire d’être drôle, il suffit d’être gai. »

 

Il faut toujours avoir « une nécro » prête à publier…

Quelques temps après son amputation, Galtier-Boissière avait dit à son ami, le docteur François AMAN-JEAN :  » Quand on m’a coupé la jambe, j’aurais très bien pu y rester et l’article à passer sur moi dans le « Petit Crapouillot » n’était pas prêt. Un journal qui se respecte doit toujours avoir en réserve un petit stock d’articles nécrologiqes sur les personnalités et à plus forte raison sur son propre directeur! Toi  qui me connais depuis toujours, tu vas donc me faire le plaisir de te mettre tout de suite au travail, on ne sait jamais ce qui peut arriver… »                       

Nous sommes le 22 janvier 1966,                                                                                      
Jean Galtier-Boissière disparaît, quelques jours après une intervention chirurgicale.

« A l’aube un coup de téléphone. Jean est mort.
L’ami irremplaçable s’en est allé. Sa grande gueule tendre, son courage, sa loyauté, son esprit, sa gaieté ; tout se tait.   La porte se ferme sur un personnage essentiel qui aura marqué son temps de vie. Le Maître du Crapouillot est mort
et c’est Jean que je pleure ».
(François AMAN-JEAN) 

Jean Galtier-Boissière repose au cimetière de Barbizon, à côté de Charlotte, son épouse.

On peut retrouver le texte intégral, intitulé :
La Vie et l’Univers de Jean Galtier-Boissière   par François Aman-Jean dans « LE PETIT CRAPOUILLOT »N° 3 : dernier numéro, de mars 1966, paru après le décès de Jean Galtier-Boissière

Bibliographie

Romans :

  • Loin de la riflette, éditions G. Crès et Cie, 1921
  • La Bonne Vie, Bernard Grasset, 1925
  • La Fleur au fusil, Éditions Baudinière, 1928 ; réédition avec Loin de la riflette, Mercure de France, 1980, réédition seule, Vendemiaire, coll. « Histoires », 2014
  • La Vie de garçon, Les Éditions de France, 1930
  • Trois héros, La Jeune Parque, 1947 (OCLC 58965573)
  • La Colonelle Huppenoire : roman de cape et de sabre, Du Lérot éditeur, 2014        (publication posthume)

Théâtre

  • • Au pays des contes bleus, comédie en 1 acte et en vers, éditions Larousse, 1908

Autres publications

  • En rase campagne. 1914. Un hiver à Souchez. 1915-1916, avec 17 illustrations par l’auteur,                                  Berger-Levrault, 1917
  • Un hiver à Souchez, Les Étincelles, coll. « Les témoignages de combattants français », 1930
  • Histoire de la presse, Crapouillot, 1934
  • Le Bourrage de crânes, Crapouillot, 1937
  • Le Panier de crabes, souvenirs d’un polémiste (1915-1938), Crapouillot, 1938
  • Mon journal pendant l’Occupation, La Jeune Parque, 1944 (OCLC 7240636) ; réédition, Paris, Libretto, coll.  « Libretto » no 514, 2016
  • Mon journal depuis la Libération, La Jeune Parque, 1945 ; réédition, Paris, Libretto, coll. « Libretto » no 536, 2016
  • La Belle Amour, La Bonne Compagnie, 1943 (notice Bnf no FRBNF32142221)
  • Tradition de la trahison chez les maréchaux, suivie d’une vie de Philippe-Omer Pétain. Trémois, 1945,  (OCLC 23414921)
  • Mon journal dans la drôle de paix, La Jeune Parque, 1947 (OCLC 2877633) ; réédition, Paris, Libretto, coll.   « Libretto » no 560, 2017
  • Mon journal dans la grande pagaïe, La Jeune Parque, 1950 (OCLC 35593158) ; réédition, Paris, Libretto, coll. « Libretto », 2017
  • Dictionnaire des contemporains, Crapouillot, 1950
  • Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique d’argot, Crapouillot, 1950 (en collaboration avec Pierre Devaux) – refonte d’un ouvrage d’abord paru en 1939
  • Dictionnaire des girouettes, 2 tomes, Crapouillot, 1957
  • Mémoires d’un Parisien, La Table Ronde, tome 1 (1839-1919), 1960 ; tome 2 (1919-1938), 1961 ; tome 3 (1939-1960), 1963 (OCLC 6034001)
  • Histoire de la Guerre 1939-1945 (avec la collaboration de Charles Alexandre), La Jeune Parque, tome 1 (1939-1940) ; tome 2 (1940-1945), 1965
  • • Histoire de la grande guerre 1914/1918 (avec le concours de René Lefèbvre, archiviste du Crapouillot), 1966
  • Autour du « Crapouillot » : choix d’articles et de correspondances, 1919-1958, Du Lérot éditeur, 1998 (publication posthume)
  • « Le Canard enchainé », chroniques 1934-1937 par Jean Galtier-Boissière, Tousson, éditions Du Lérot, 2018, 460 p.

Merci à Pierre Soudais pour cette magnifique évocation d’un barbizonnais exemplaire,
curieux de tout, amateur d’esprit, d’art et de gastronomie,


Merci à Jacques Portier pour ses collections de souvenirs


dans des prochaines nouvelles nous raconterons l’histoire étonnante de la famille maternelle de Jean Galtier-Boissière

Les Ménard
une famille de savants et d’artistes, à Barbizon 

Nouvellement et soigneusement restaurée, la « Vieille demeure » dans la grande rue de Barbizon. C’était la maison de famille des Ménard.


Merci à tous de m’envoyer
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Le Cercle des Amis de Barbizon, association Loi 1901, a été fondée Jean-Michel Mahenc en 2016, pour réunir tous les amoureux du village des peintres de Barbizon (France) et d'en assurer le rayonnement artistique.